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Résumé de la discussion
- MthS-MlndN
- 08-09-2008 18:24:44
LES EVENEMENTS RELATES DANS CE TEXTE ONT LIEU LE LUNDI SEPT JUILLET DEUX MILLE HUIT ENTRE DOUZE ET QUATORZE HEURES.
12:00:00
L'inspecteur Malandrin avait besoin de se reposer. Les deux dernières enquêtes l'avaient épuisé, et l'image de Camille était encore gravée dans sa tête, son nez mutin, ses fossettes gracieuses, ses yeux aux couleurs changeantes et chatoyantes, ses courbes parfaites que laissaient entrevoir ses robes un peu trop larges... Même ses pensées les plus typiquement masculines n'avaient plus rien de lubrique depuis elle ; il rêvait de sexe comme certains rêvent de trouver Dieu, il rêvait de son contact, de sa chaleur autour de lui, de ces regards brouillés par le désir qu'elle aurait pu poser sur lui. Il rêvait d'elle nuit après nuit, à n'en plus dormir, à en étouffer, à en crever de solitude et d'amertume.
Ses promenades dans le parc ne lui suffisaient plus ; foulant le gravier lourd et bruyant de ses allées, il était seul dans sa bulle, contemplant les scènes extérieures comme on regarde la deux-centième rediffusion successive d'un mauvais film. Tentant de distraire ses pensées de leur pesante et douloureuse cible, comme pour échapper à cette passion qui, étymologiquement, veut dire souffrance (un "petit détail" qu'il s'était jusque-là efforcé de garder en mémoire, quitte à sans cesse pisser sur les braises de ses histoires passées), il s'imaginait pléthore de saynètes, de rencontres imaginaires, d'amitiés longues et durables, d'amours naissants qui feraient cicatriser cette intolérable blessure ; mais ses efforts restaient toujours vains, la sempiternelle image de Camille revenait à son esprit, et chassait ses espoirs de paix intérieure comme un coup de fusil délogerait des hirondelles posées sur un câble électrique. (D'ailleurs, les hirondelles se posent-elles sur les lignes à haute tension ? se demandait-il parfois.)
Un matin, Gadjo était venu le voir. Il était affalé sur son bureau, ruminant distraitement de minables histoires de vol ou de crimes passionnels en fumant sa quatorzième cigarette de la journée. Sa chambre ressemblait à un aquarium dans lequel, ne sachant frayer son chemin entre les volutes de fumée, il se noyait inlassablement.
"Mathias, je peux te parler une minute ?"
Malandrin répondit d'un simple signe de la tête, qu'il avait visiblement ailleurs.
"Ca m'attriste profondément de te voir dans cet état. Je ne voudrais pas te laisser ruminer tes idées noires à longueur de journée. Il faut que tu t'aères." Gadjo avait apparemment révisé son discours la veille au soir. Son ton était un parfait équilibre entre compassion extrême et coup de pied dans la fourmillière. "Ecoute, plus personne ne supporte de te voir comme ça, tu nous brises le coeur, alors... nous nous sommes dits que, peut-être, tu aurais besoin de vacances."
Etonné, l'inspecteur Malandrin se retourna lentement vers Gadjo.
"C'est-à-dire ? - Le commissariat entier s'est cotisé pour t'offrir un voyage à Londres. Fais du shopping, balade-toi, et reviens-nous en forme."
Véritablement stupéfait, Malandrin avait réussi par la suite à poser des questions de plus de trois mots. Gadjo lui expliqua tout dans le détail : argent de la poche des inspecteurs, des secrétaires, du "petit personnel", coup de pouce du préfet, du ministre lui-même ; départ trois jours plus tard à huit heures vingt-cinq, arrivée à Londres, réservation d'hôtel déjà effectuée en proche banlieue pour une semaine, retour le dimanche après-midi, le tout en première classe, s'il-vous-plaît. Malandrin ne pouvait pas refuser.
12:03:32
Malandrin repensait à tout cela, tandis qu'il déambulait dans les rues de Londres. Sa morosité n'avait pas disparue, mais elle s'atténuait plus facilement en territoire inconnu, comme il prenait le temps de tout regarder, gens, boutiques, ruelles, ciel, bus, cabines téléphoniques... Il parcourait un monde nouveau.
Et soudain, tout s'effondra.
La jeune femme qui passait sur le trottoir d'en face, ça devait forcément être Elle. La démarche timide, la robe trop large, le visage fin, les yeux entre deux teintes... Il se détourna, traversa sans même regarder la route, au mépris d'un cab qui faillit lui faire cadeau d'un long séjour à l'hôpital et d'un fauteuil roulant dernier modèle, et accéléra son allure. La jeune femme tourna furtivement la tête, réalisant que quelqu'un la suivait, et se pressa elle aussi, s'accrochant à son sac à main comme à une bouée de sauvetage. Eternel naufragé de ses amours impossibles, Malandrin n'avait pas eu le temps de voir que cette femme n'était pas Camille. Il la suivait éperdument, manoeuvré par ses désirs les plus fous, la filant dans de minuscules ruelles où elle n'échappait que de très peu à la tentation de hurler à l'aide, collée au train par cet inconnu qui, lui semblait-il, parlait pour lui-même dans une langue qu'elle ne reconnut pas (espagnol ? français ? italien ?).
Malandrin la perdit de vue au détour d'une ruelle qui ressemblait à beaucoup d'autres. Il se pressa et, arrivé à l'angle d'une vieille bâtisse, bifurqua sèchement sur sa droite, sans prendre le temps de regarder si quelqu'un venait.
Le coup fut sec et précis. La batte de baseball en bois vint frapper le haut de son front ; l'impact lui fit presque immédiatement perdre conscience.
13:01:27
Malandrin ouvrit lentement les yeux. Son crâne semblait hurler de douleur ; il palpa délicatement la bosse qui ornait son front, ce qui lui fit déjà mal à s'en mordre la langue. Il ne savait pas où il était ; une petite rue comme un milliard d'autres rues de la City. Il lui fallut de très longues secondes avant de se rendre compte qu'un étrange objet enserrait sa gorge. Un anneau en plastique, plutôt fin, mais étonnament solide, rivé par un cercle métallique qui semblait d'une résistance infinie.
Il se releva précipitamment, ce qui lui provoqua un vertige carabiné accompagné d'intenses phosphènes ; il dut attendre quelques secondes avant de se sentir assuré. Il tâta toutes ses poches pour vérifier que rien ne lui manquait, sans doute par réflexe ; au contraire, un papier épais, plié en quatre, avait été glissé dans la poche intérieure de sa veste en cuir. Effrayé comme une hirondelle par un coup de fusil, ou un homme aux mains collées à une ligne à haute tension dont les pieds nus s'approcheraient dangereusement d'un sol humide, ou bien un savant mélange des deux, il s'y reprit à deux fois pour lire :
Etonnez-moi, inspecteur Malandrin. Stupéfiez-moi. J'ai conçu spécialement pour vous une longue série d'épreuves, desquelles il est plus qu'improbable que vous sortiez vivant. Pourtant, ce n'est pas techniquement impossible...
L'objet accroché autour de votre cou contient un explosif d'une simplicité radicale : de la TNT, préparée par mes soins, grâce entre autres à un peu de graisse animale que j'ai fait saponifier, puis... Vus avez vu Fight Club ? Vous connaissez cette recette, je suppose. Ce n'est pas l'explosif le plus puissant du monde, mais cela suffirait largement à séparer votre tête de votre corps. Très largement. Vous êtes déprimé, mais sans doute pas suicidaire pour autant, non ? Alors je propose que nous nous amusions...
Vous avez vu Die Hard 3 ? C'est presque le même principe, mais avec moins de victimes potentielles. Les épreuves que vous aurez à passer seront minutées strictement. Chacune vous mènera vers un code à quatre chiffres que vous devrez entrer sur le petit clavier, là, sur la gauche, derrière une petite trappe verdâtre. Ce code vous permettra de rallonger votre espérance de vie d'une durée précise, comprise entre une demi-heure et quelques heures. La dernier code de la liste désactive le verrou mécanique qui vous empêche d'ôter votre collier.
Tapez un code au hasard, et boum ! Tentez de ressaisir un code déjà utilisé, et BOUM !!! Tentez de forcer le collier, et BADABOUM !!!!!! Vous avez déjà vu Battle Royale ? Cette technologie existe depuis longtemps. Vous avez intérêt à me croire.
J'ai caché un "post-it" contenant la suite des instructions sous un des carreaux du mur de la station Camden Town, sur Northern. Votre épreuve commencera dès que votre regard se détachera de cette feuille. Vous aurez une heure et pas une minute de plus. C'est peu, pour ce que je vous demande de faire.
Et au fait : ce serait une perte de temps que de vous demander où sont mes yeux et mes mains. Déjà parce qu'ils sont partout dans cette ville ; ensuite parce que, si vous tentez de vous en prendre à un seul d'entre eux, il a l'ordre de vous tuer sans sommation.
Bonne chance, Malandrin. J'espère que vous êtes en forme.
13:06:48
Pas le temps de le prendre. Malandrin chiffonna l'épaisse feuille A4 et se rua en direction de l'extrémité la plus proche de la rue. Il zigzagua pendant une ou deux minutes (qui lui semblèrent des heures), une ruelle après l'autre, déboucha sur une grande artère, demanda son chemin dans un anglais approximatif à deux jeunes gens qui fuirent, visiblement effrayés par son effroi à lui, se résolut vite à chercher tout seul.
La bouche de métro la plus proche n'était pas très loin ; Malandrin y fonça. Par chance (ou par calcul de la part de son évaluateur privé ?) la station était à l'intersection de Circle, Hammersmith et Northern ; il remonta jusqu'à Camden Town, le trajet dut lui prendre cinq ou six minutes, pendant lesquelles sa jambe s'agitait nerveusement sous le regard stupéfait de flegmatiques workers anglais. Il bouscula en sortant du wagon une vieille dame qui l'insulta en anglais - il regretta de le comprendre.
13:19:16
Un carreau était légèrement déboîté sur le mur face à lui, pas assez pour qu'il tombe tout seul, mais bien assez pour que ce soit visible à quiconque y prêterait attention. Dessous se cachait, en guise de post-it, une feuille A5.
Puisque vous aimez les voyages souterrains, je vous propose d'aller plus avant dans l'exploration de l'underground londonien. De station en station je vous emmène, de ligne en ligne vous irez... En récupérant les bonnes choses aux bons endroits, vous trouverez la station à laquelle vous devrez vous rendre pour tenter d'obtenir le premier code.
Royal Oak - 8 . Wapping - 9 . Gunnersbury - 5 . Manor House - 6 . Leytonstone - 2 . Camden Town - 1 .
La dernière est facile, vous y êtes déjà. Vous savez donc ce que vous trouverez en début de ligne...
Spoiler : Supplément d'information Ce que Malandrin prit d'abord pour des points en fin de ligne, se révélèrent être des inscriptions minuscules. Les cinq premières étaient toutes "= ?", comme il se devait. En revanche, après la dernière ligne était inscrit "= N".
13:31:01
Les yeux fatigués, se sentant déboussolé, Malandrin sauta dans le métro. Il savait qu'il aurait pu être beaucoup plus efficace ; l'éventualité de sa mort prochaine n'avait fait, en fin de compte, qu'en augmenter la probabilité, et sa peur l'avait submergé, durant cinq longues minutes où mots et chiffres se mélangeaient en lui à des mémoires de visages, d'images, de parfums, de voix, de douleurs. Finalement, il avait instinctivement repris le dessus, guidé par une force étrange et incoercible, sans doute ce fameux "instinct de survie" dont il avait entendu parler, et auquel il ne croyait pas tant que ça la veille encore.
Durant le voyage, ses ongles firent les frais de relents de nervosité : il les rongea et les recracha bruyamment autour de lui. Tirant par réflexe sur des morceaux de peau réticents, il se fit saigner deux doigts. Le voyage était horriblement long, Malandrin ne tenait pas assis plus de vingt secondes, et tournait en rond dans les wagons qui s'ébranlaient régulièrement, station par station. Il repensait à Camille, que peut-être il ne verrait plus jamais, pour sûr ; alors montait en lui une féroce haine, d'autant plus amère qu'elle ne savait pas quel but fixer.
13:55:57
Malandrin descendit en courant du wagon presque vide ; un homme, au visage dissimulé par une immense casquette, le saisit par l'épaule et lui tendit une nouvelle feuille. Malandrin voulut le choper par le col et le questionner, mais il se souvint des instructions données par son évaluateur privé, et cessa son geste juste à temps. Des mains et des yeux partout... Ordre de vous tuer sans sommation. Il s'empara de la feuille et en commença la lecture, tandis que la main, le messager sans visage, repartait comme si de rien n'était.
"Voici les descriptifs correspondant aux quatre chiffres que vous devrez taper, dans l'ordre.
Chiffre un : sa guerre n'aura pas lieu, d'après Jean Giraudoux. Chiffre deux : trente quatre mille deux cents. Chiffre trois : trente-deuxième décimale de pi. Chiffre quatre : la Quintessence lui doit son nom."
Malandrin se força à réfléchir le plus posément possible, effaçant rigoureusement les incertitudes et les doutes les uns après les autres. Les réponses lui vinrent vite, il ouvrit la trappe et s'apprêtait à taper le premier chiffre lorsqu'un dernier doute le saisit : les chiffres du clavier étaient-ils disposés dans l'ordre usuel ?
Il courut vers la vitre la plus proche et y examina le clavier ; les chiffres y étaient désordonnés. Il tapa le premier, le deuxième, le troisième, prit une grande inspiration nerveuse tandis que son doigt frôlait le quatrième chiffre.
13:58:49
Il appuya sur la quatrième bouton. Son collier émit un long bip, d'environ deux secondes, puis plus rien.
Instinctivement, Malandrin avait fermé les yeux. Il les rouvrit en entendant sonner un téléphone portable dans la poche de son pantalon. Il l'en sortit ; ce téléphone n'était manifestement pas à lui. Etait-ce la Main à casquette géante qui l'avait glissé dans sa poche ? Comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte ? Il décrocha en silence.
"Félicitations, Malandrin, fit une voix étrangement grave (il utilisait un vocoder, apparemment). En passant, ce nombre qui vient de retarder votre mort d'une heure et quart est le produit des quatre premières lettres de ma drogue préférée, pour la petite histoire. Reprenez le métro, changez à Elephant & Castle et rendez-vous à Piccadilly Circus. Dépêchez-vous, sinon vous serez mort dans une heure. - Espèce de sale enfoiré", commença Malandrin, mais la liaison était déjà coupée.
13:59:59
Il raccrocha.
14:00:00
Questions subsidiaires :
1) Peu après son douloureux réveil, à quelle station Malandrin est-il arrivé ? 2) Combien de lignes de métro différentes a-t-il emprunté entre 13h et 14h ? 3) Quelle est la drogue préférée de son malfaiteur ?
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