MERCREDI 16 JUILLET 2008
Malandrin et Lanvois arrivèrent à Londres par l'Eurostar vers 10h30, accompagnés de Cash ("je vous couvrirai", avait-il déclaré solennellement, ce à quoi Malandrin avait répondu que ce n'est pas à un vieux briscard comme lui qu'un jeune prétentieux apprendrait à faire des grimaces, et encore moins à sortir un flingue, milodiou -- un sens de l'humour très personnel qui lui vaait déjà valu une belle série de bides).
Le voyage en métro vers la cave d'un appartement situé en NW4 (Cash avait signalé à Malandrin "non, te fatigue pas, ce n'est pas un cryptage", et s'était pris un bide) fut tout juste ponctuée par de vagues tentatives de Cash pour relancer une discussion. Malandrin et Lanvois, chacun de leur côté, repensaient à certains trajets de métro qu'ils avaient fait, il n'y avait pas très longtemps, dans une ambiance quelque peu tendue. Cash avait beau parler de ce que le métro avait de sexuel à chaque arrivée dans un tunnel, le coeur des deux coéquipiers involontaires n'était plus à la blague.
Au sortir du métro, il marchèrent quelques minutes pour arriver devant l'entrée d'une grande bâtisse en briques. Malandrin et Lanvois reprenaient des couleurs en pensant à leurs chances d'arrêter l'Evaluateur grâce à ce qu'ils pourraient y trouver. De son côté, Cash se demandait s'il n'endossait pas involontairement le rôle du lourdaud de service, l'épine dans le pied, le testicule dans le potage.
Avec la permission forcée du propriétaire de l'immeuble, ils pénétrèrent dans la bâtisse et, guidés par le concierge, descendirent dans une cave qui semblait désaffectée. Derrière une lourde grille en métal qui se rabattait toute seule grâce à un système de ressorts, une cave en pierre d'une vingtaine de mètres carrés, qui semblait rigoureusement conçue selon les proportions dictées par le nombre d'or.
Le téléphone était encore là ; le reste semblait avoir disparu. Sous le regard attentif de Lanvois, qui se sentait comme immergé dans les séries policières qui l'avaient tant bercé, Cash et Malandrin enfilèrent des gants en latex et entreprirent la fouille consciencieuse du lieu. Tandis que Cash récupérait tous les éléments physiques qu'il trouvait (beaucoup de mégots de cigarette et quelques gravillons sans importance), Malandrin recherchait les empreintes de pas et de doigts, grâce aux contenus de petites fioles de couleurs suspectes, ainsi que quelques poudres blanchâtres et un pinceau. Lanvois se serait cru dans "Les Experts" ; quelque chose l'émerveillait là-dedans.
Cash détecta une pierre branlante à côté de la grille d'entrée. Lorsqu'il la délogea prudemment, il vit un boîtier qui se tenait derrière.
"Je l'ouvre ? demanda-t-il à Malandrin.
- Prudemment, mais oui, ouvre."
Cash se saisit d'un tournevis et dévissa le boîtier. Lorsqu'il ouvrit le capot, cela eut un effet inattendu : à l'intérieur, un câble fragile fut rompu par l'ouverture, ce qui déclencha le verrouillage de la grille. Lanvois fut saisi par la peur ; Malandrin, quant à lui, se demanda quelque chose comme "qu'est-ce que c'est encore que cette épreuve bonus ?", et rajouta ironiquement in petto que l'Evaluateur était un sacré comique.
"Il a laissé un petit papier ? demanda-t-il comme s'il connaissait déjà la réponse. Bastien, relax.
- Oui, il a collé un post-it sur l'intérieur de la façade."
Malandrin se rapprocha calmement de Cash, mais il fut précédé par Lanvois qui se jeta littéralement sur lui et lui arracha le papier des mains.
Sur ce tableau, il y a cinq câbles à rebrancher. Vous devrez les mettre au bon endroit. Si les cinq sont branchés comme il faut, la grille se rouvrira. S'ils sont branchés dans le mauvais ordre, ce boîtier explose, et les mains de celui qui a branché les câbles avec. Le circuit a été dur à concevoir ; j'espère qu'il aura été utile. A très bientôt, Malandrin.
Malandrin, n'ayant pas encore lu le message (Lanvois le lisait et le relisait avec angoisse), jeta un coup d'oeil à l'intérieur du boitier. Cinq câbles dénudés, de couleurs différentes, étaient à lier à des attaches métalliques rectangulaires reliées à un circuit imprimé.
"Quelqu'un a un papier quelconque et un stylo ? demanda-t-il en examinant les nombres inscrits à côté des attaches.
- J'ai ça", répondit Cash.
Malandrin s'empara d'un stylo et d'un carnet de notes que lui tendait Cash, et commença à tripatouiller les nombres. Il en fit de longues séries de 0 et de 1, qu'il traduisit en de petits blocs de chiffres et de lettres.
"Nous avons le nom de ce mec, déclara Cash. Il s'appelle Spoiler : [Afficher le message] Hervé B. "
Malandrin sourit, ce qui lui fit plaisir, puis sépara chaque nombre en trois blocs de deux chiffres/lettres.
"Pourquoi tu fais ça ?" demanda Lanvois, trépignant comme s'il ressentait une furieuse envie d'uriner.
"Le symbole gravé sur le circuit imprimé m'a mis sur la voie.
- Et puis ça l'amuse de torturer des nombres, ajouta Cash. Que veux-tu, les goûts et les couleurs..."
Lanvois n'esquissa pas même un sourire, trop anxieux pour cela. Malandrin, en revanche, rit à gorge déployée ; il était en réalité plus enthousiasmé par le fait que Cash avait très bien compris ce qu'il faisait que par la blague en elle-même.
Malandrin rebrancha les câbles et la grille s'ouvrit. Lorsqu'elle fut grande ouverte, on entendit Lanvois expirer bruyamment. Pfiouh, sauvés.
"Rien de plus à trouver ici, je pense, fit Malandrin. On récupère les mégots, on relève les empreintes sur le boîtier, et on se casse."