Les cheminées fumantes enveloppaient Dijon d'une brume artificielle, et firent tousser Filibert. Celui-ci marchait, de plus en plus vite, gagné par l'excitation... Apercevant la photographie d'un palmier, il se prit à rêver à un voyage, un long et beau voyage... aux côtés de celle qu'il rejoignait. Sans comprendre, il fut face à la porte.
Il frappa énergiquement. Des pas se firent entendre, et une bizarre voix chanta:
- Qui est là?
- C'est Filibert! Répondit celui-ci.
- Je ne connais aucun Filibert! Dit la voix.
Il y eut un silence.
- C'est toi, Cunégonde? Fit Filibert.
La porte s'ouvrit soudain:
- Mais oui c'est moi, mon Filibert! Je t'ai bien eu.
Il allait protester, mais elle ne lui en laissa pas le temps:
- Entre, dit-elle.
Filibert pénétra dans la salle à manger avant de se laisser choir dans un fauteuil. Il leva la tête vers Cunégonde, et lui sourit.
- Tu vas bien?
- Embrasse-moi immédiatement. Ordonna-t-elle.
Filibert, prit au dépourvu, voulut comprendre, mais son amie ne lui en laissa pas le temps puisqu'elle se jeta sur lui et l'embrassa langoureusement. Lorsqu'elle se redressa, Filibert vit ses yeux qui brillaient. Alors, sans mot dire, il se pencha vers elle, et à son tour, posa ses lèvres sur les siennes. Pour la seconde fois de leur histoire, donc, ils s'embrassèrent.
Plusieurs minutes s'écoulèrent. Puis Cunégonde poussa un soupir qui résonna dans la pièce comme une brise sur l'océan. Filibert en profita pour articuler, le cœur battant:
- Je t'aime.
Son amie le regarda.
- C'est vrai?
- Plusieurs décennies se sont écoulées depuis que je t'ai connue. Et tu es la seule personne que je n’aie jamais aimée.
- Voyons... tu vas me faire rougir, murmura Cunégonde.
- Pourquoi? S'écria-t-il. Tu es la personne la plus louche que je n'ai jamais connue! La plus louche de tout Dijon! Les gens ne t'arrivent pas à la cheville.
- Mais et toi, tu es si glauque...
- Cela n'est rien à côté de toi. Lorsque je t'embrasse, j'ai l'impression que je m'envole. Quand je te quitte, j'ai l'impression que mon cœur se fait piétiner par un féroce lapin, ou transpercer par mille lances empoisonnées.
- Mais toi aussi, Filibert, tu as beaucoup de qualités...
- Tu sais... j'ai aimé, tout à l'heure, lorsque nous nous sommes embrassés.
Il n'en fallut pas plus à Cunégonde pour saisir le bras de Filibert et lui offrir de nouveau un baiser enflammé. Les deux êtres eurent cette fois l'impression d'être emportés dans une tempête. Sur un océan rouge sang. Leurs souffles s'échouaient invariablement dans les hurlements du vent, et les gifles des vagues leur faisaient fermer les yeux. C'était beau, c'était puissant, comme un tableau de James Ensor, ou comme ''La Chenille'' de La Bande à Basile. Tout rugissait autour d'eux, ils étaient enfermés dans une parenthèse qui les épargnait des griffes du cyclone, des griffes signant leur passage d'une trace de salive blanche et éphémère... tout tournait, des vertiges les prenaient, Filibert ferma les yeux et eut l'impression d’exploser en haut d’une ronce. Et soudain tout s'arrêta.
- Cunégonde...
- Oui?...
- Cunégonde... veux-tu m'épouser?...
- Oui... fit-elle doucement.
Toute la nuit, ils restèrent enlacés, à parler, ou à s'embrasser.
- Je t'ai déjà parlé de Casimir? Demanda Filibert.
- Non.
- Il m'a dit un jour que je ne pourrais jamais séduire qui que ce soit, même une folle.
- Il ne faut pas écouter ce genre d'idioties... comment pouvait-il te dire ça, à toi, qui es si... verdâtre!
- Tu ne le connais pas. Sa bêtise dépasse l'entendement.
- Je veux bien te croire!
Puis ils se promirent de s'aimer éternellement, et l'éternité commença pour eux.