Merci et bravo a tous ceux qui ont jeté un oeil a cette énigme.
La bataille dont je parle a opposé Newton a Leibniz, les deux se disputant bec et ongles la paternité du calcul infinitésimal, qu'ils ont tous les deux inventé chacun de leur côté, simultanément, sans jamais avoir copié l'un sur l'autre (le couple Newton-Leibniz est du coup, si je me rappelle bien, un argument du grand écrivain moderne -- ironie mordante -- Bernard Werber quand il expose son idée d'idéosphère).
La paternité du calcul infinitésimal est reconnue a Isaac Newton grâce a une toute petite chose : un anagramme qu'il a glissé dans une correspondance. Le procédé était commun a l'époque : le récipiendaire de la lettre ne pourra pas copier sur l'expéditeur (a moins d'être un cryptanalyste plus que génial) mais ladite lettre fournira une preuve datée de la paternité d'une idée.
Le code en question, dans l'affaire qui nous préoccupe ici, était 6accdæ13eff7i3l9n4o4qrr4s8t12vx. Les nombres représentant le nombre d'occurrences d'une lettre, on obtient :
et, vu que U et V sont confondus, ce gros tas de lettres est l'anagramme (imparfait) de
Data æquationae quotcunque fluentes quantitates involvente, fluxiones invenire : et vice versa.
Pas évident a traduire, sachez néanmoins que "fluxiones" (les "fluxions") correspond en fait au concept de calcul infinitésimal.
Quoi c'est, le calcul infinitésimal ? C'est l'outil mathématique qui nous permet de définir du même coup les dérivées, les intégrales, et tout un tas de bordel dans le même genre. Une idée de base est celle de considérer qu'on peut prendre une petite quantité et la rendre toujours plus petite, jusqu'a la faire tendre vers zéro. Je suis content que Wikipedia me fournisse un exemple.
On a la courbe d'une fonction f, et on souhaite connaître son intégrale dans un intervalle. La fonction est positive dans cet intervalle : l'intégrale correspond a l'aire de la zone qui est entre le morceau de fonction et l'axe des abscisses. Voici une façon de l'approximer :
On trace des rectangles d'une certaine largeur (leur aire est facile a calculer) et on somme tout pour obtenir une valeur approchée de l'intégrale qu'on veut calculer.
Si, au lieu d'avoir trois rectangles, j'en avais pris trente, ou trois cents, dans le même espace (juste plus nombreux, donc plus "tassés"), ils auraient été de plus en plus petits, et donc auraient de mieux en mieux "suivi" le tracé de la fonction : mon estimation de l'aire aurait été de plus en plus précise au fur et a mesure que j'aurais ajouté des rectangles, ou, en d'autres termes, réduit la largeur de chaque rectangle.
En faisant tendre la largeur de mes rectangles vers zéro, j'obtiens l'aire exacte : j'ai calculé l'intégrale, au lieu de n'en avoir qu'une vulgaire approximation. Ben voila. L'étape "je fais tendre p vers zéro", c'est du calcul infinitésimal. Ce n'est pas bien dur, vu sous cet angle, mais c'est juste révolutionnaire.
La physique est la première a en profiter : le calcul infinitésimal fait naître les opérations inverses l'une et l'autre de dérivation et d'intégration, grâce auxquelles, par exemple, on passe de la position d'un objet au cours du temps a sa vitesse au cours du temps, puis a son accélération au cours du temps, et vice-versa.
En terminale S, on le sait bien, d'ailleurs. L'accélération d'un objet est directement proportionnelle a la somme des forces qui s'appliquent sur lui ; autrement dit, si je sais quel objet je mets dans quelle situation, je connais son accélération. Et grâce au calcul infinitésimal, je prévois sa vitesse et sa position a n'importe quel moment. (Ca marche autant pour une poussière que pour une planète, d'ailleurs.)
Et ce n'est qu'un exemple "basique", mais il y en a des milliers d'autres. Tu m'étonnes que les pères Isaac et Gottfried La-Baston se mettaient sur la gueule pour déterminer qui l'avait inventé...
Cette tartine, c'était pour ceux qui se plaignaient de ne rien y comprendre. J'espère avoir éclairci un ou deux esprits sur ce coup-la
Petit bonus : comme l'a remarqué FRiZ, et il est loin d'être le premier, l'anagramme dont on parlait est imparfait. Ce petit étourdi de Newton a oublié de compter un T.
En fait, beaucoup se sont demandé si ce n'était pas une erreur de recopie, ou un complot de la CIA, ou une blague qui serait passée inaperçue, ou la preuve d'une fraude, ou une conséquence directe du fait que le mot "équation" se disait "équaion" jusqu'aux années 1870.
L'hypothése la plus probable est que le grand Isaac a juste oublié de compter le T de "et", a cause de cette fâcheuse tendance qu'a notre petite cervelle de zapper les lettres des mots les plus courts. Si on vous a déja présenté le petit texte :
Finished files are the result
of years of scientific study
combined with the experience
of years.
alors vous savez de quoi je parle. Sinon, je spoile, tant pis pour vous : quand on demande a quelqu'un parlant l'anglais de compter les F dans cette phrase, il répondra probablement 3.
Alors qu'il y en a 6. Mais trois d'entre eux sont dans le mot "of", répété trois fois dans le texte, et ces trois-la seront très probablement négligés par le cerveau.
Sources (en anglais) :
http://www.mathpages.com/home/kmath414.htm (citée par Ash)
http://courses.science.fau.edu/~rjordan … newton.htm
http://www.cracked.com/article_18761_6- … ap_p2.html (l'article qui m'a donné envie de parler de ce code)